WAITING FOR RICHARD
d’après Shakespeare
NOTE D’INTENTION
«Je ne sais ce que je vois qu’en travaillant»
Pour moi, le théâtre n’existe qu’à partir d’une réalité simple, la réalité du plateau. Je crois que j’ai un fonctionnement instinctif. J’essaie.de voir ce que je vois sur le plateau. Je n’ai pas d’idée préconçue sur comment aborder un sujet. Le texte n’est pour moi qu’un élément du spectacle. Je ne monte pas Richard III, je monte une pièce, un spectacle avec plusieurs composantes qui sont la musique, le lieu dans lequel on joue, les comédiens. Nous allons même parfois jusqu’à couper du texte parce que ça nous arrange pas pour la musique. C’est le plateau qui construit notre théâtre. Pour l’instant la pièce Richard III j’y pense. Mais je n’y pense pas en lisant le texte. Je réfléchis à l’idée que je peux encore avoir de Richard III, à l’aide des bribes des spectacles que j’ai déjà vu, des images, je pense à la manière que nous aurons de travailler lorsque nous attaquerons les répétitions. Après tout se fait très vite.
«Je ne cherche pas je trouve»
Parfois en regardant du théâtre contemporain je me dis que c’est bien de chercher mais parfois, il faudrait trouver quelque chose ! Au théâtre on est dans l’action et dans la représentation. Le public s’en fout que tu cherches, il attend que tu trouves quelque chose. Pour le public, bien sûr tu fais du théâtre mais c’est d’abord du spectacle. En fait, le théâtre ce serait le moment où tu recherches, le spectacle le moment où tu as trou- vé. C’est toujours un équilibre entre les deux. Du coup, moi je ne vois pas bien la distinction entre le théâtre de recherche et celui qui n’en est pas. Notre méthode de travail ce n’est pas d’orga- niser des ateliers de recherches, mais des ateliers de trouvailles..
“On ne commence à parler des choses que lorsqu’on est le dos au mur” C’est un truc que j’aime bien parfois dans notre manière de tra- vailler. J’appellerai cela les performances : tu montes un spec- tacle d’une heure en une semaine comme on l’ a fait Mauser ou Germania 3. Ce qui est pénible c’est quand on pinaille. Dans les théâtre en ce moment je trouve qu’il y a plein de gens qui pinaillent. A un moment il faut choisir des directions même si elles ne sont pas tout à fait justes, il faut qu’il y ait une force.
Il y a une lutte qui existe en permanence entre ce qu’on tente de livrer fini et les moments de théâtre pas finis, moins maîtrisés. Tu vois, je crois qu’à un moment que tu bosses deux mois, que tu bosses trois semaines ou une semaine, si tu n’as pas d’idée en une semaine tu en aura pas en deux mois. Il faut un peu de temps, mais après c’est une sécurité par rapport à ton travail
«Dans le respect de l’énigme, il y a aussi une façon de s’instruire …»
Je crois que je pourrais m’opposer à des esthétiques comme celle de Jean-Pierre Vincent ou de Chéreau. Je trouve leur travail d’une grande clairvoyance, d’une véritable intelligence par rapport au texte, capable de nuances qui révèlent le sens : je trouve ça hyper-bien fait, ça m’épate. Mais en même temps ces spectacles me font un drôle d’effet. C’est comme lorsque quelqu’un dessine bien : c’est bien fait et ce n’est pas forcement ce qui va me toucher. Parfois on peut avoir l’im- pression de comprendre ce que dit un texte, mais il arrive que l’on se trompe. Avoir un pouvoir par rapport à la compréhen- sion d’un texte peut être illusoire. Ce que voit le spectateur n’est pas obligatoirement ce que tu voulais montrer. Il y a un fossé qui existe, ce fossé, je crois qu’il faut ni essayer de le remplir ni essayer ni de le creuser : il existe. Au théâtre j’es- saie de fabriquer des choses que je comprends, ou au moins qui me plaisent. Le spectateur, ne comprendra pas obligatoi- rement ce que j’ai mis dedans ou du moins ce sera plus ins- tinctif qu’intellectuel. Lorsque ma mère a vu pour la première fois Bob Wilson, elle n’a pas aimé. N’empêche qu’aujourd’hui elle s’en rappelle et au bout d’un temps, elle a fini par accep- ter des choses de ce spectacle que sur le coup elle n’avait pas accepté. Il y a un réel problème face à l’énigme. Qu’il y ait un fossé qui t’attire c’est évident, ou même qu’il existe quelques énigmes absolues comme En attendant Godot, c’est certain. Mais c’est un peu comme dans l’histoire d’Œdipe et du Sphynx, si tu révèle l’énigme, tu tues le mystère. Ceci dit, nous ne sommes pas dans une société qui peut vivre au milieu de l’énigme. Nous sommes dans un langage binaire informa- tique, qui peut être complexe mais qui n’est que la combinai- son finie de 1 et de o. Les éléments d’une pièce sont comme les éléments d’un rêve. Au théâtre, j’essaie de ne pas faire de différence entre ce qui est rêve, réalité, fantasme. Je mets tout sur une sorte de pied d’égalité, et tout devient possible dans une construc- tion dramatique. Le spectateur prend ce qu’il veut, et construit son histoire… Il n’y a pas de vérité…
Richard III…
Richard III ne m’intéresse que parce qu’il provoque des réac- tions des autres personnages vis à vis de lui. Son univers a peu de réalité aujourd’hui, nous sommes en démocratie,nous votons. Des gens peuvent voter pour Le Pen et même dans les grosses boîtes il y a des actionnaires qui votent. Il y a un semblant de démocratie. La tyrannie c’est celle de la finance, de la mondialisation : la tyrannie est devenue abs- traite. Est-ce que Mac Donald est une structure tyrannique ? c’est une abstraction tentaculaire, américaine, qui fait bosser des français. Nous sommes dans un monde à la Orwell. Il y a pas d’ennemi identifié.
METTRE EN SCÈNE RICHARD III
Mettre en scène Richard III, c’est pour moi, révéler les rap- ports entretenus avec lui par une multitude de gens. Comme dans le Tartuffe de Molière pendant les trois premiers actes, le héros n’est pas là. Tout est question de lui, mais lui n’est pas là. Il va falloir trouver une représentation de Richard 3, mais moins comme un personnage que comme une figure à plu- sieurs facettes au centre d’une multitude de rapports.
Dans la tyrannie, ce n’est pas tant le tyran qui est interessant à observer que les gens qui l’entourent et scellent son pouvoir. Un peu comme si on voulait parler de Le Pen . C’est pas forcement Le Pen qui est terrible, ce sont les gens qui le font exister.
Richard III je vais essayer de le placer un peu comme ça. Je vais plus regarder le rapport que les gens peuvent à voir avec lui, plutôt que de faire une représentation de sa figure. Parce que c’est sûr, la figure de Richard III est abominable. Il n’y a pas de doute possible.